Cervantès ne serait pas l'auteur de Don Quichotte… Réponse au prof. Calero.

Cervantès ne serait pas l'auteur de Don Quichotte…
(petite mise au point en réponse au professeur Calero)
par Dominique Blumenstihl-Roth




Don Quichotte répond au prof. Calero…
Une nouvelle légende urbaine voit le jour, enlevée par l'universitaire M. Calero, doctement diplômé, qui attribue Don Quichotte à un mystérieux Juan Luis Vives, un exilé du décret d'Alhambra de 1492 dont Cervantès aurait plagié le travail. La polémique ouverte par le professeur Calero s'appuie sur le fait que le Quichotte soit un ouvrage crypté en hébreu dont il estime que Cervantès, selon lui, ne pouvait en aucun cas connaître cette langue. Selon ce chercheur, si cryptage hébreu il y a, c'est donc forcément l'œuvre d'un juif qui ne peut être Cervantès…
La thèse hébraïsante du Quichotte, admise désormais par la plupart des chercheurs depuis que Dominique Aubier en fit la découverte en 1966, ne peut plus être contestée. Il reste cependant un petit carré d'irréductibles qui, pour n'être pas en reste de contestation, s'attaque à l'auteur du Quichotte et reverse le génie de Cervantès à l'origine de la prouesse linguistique sur un autre auteur dont il serait… le lamentable copiste.

Je me serais indigné de cette tentative d'usurpation si elle n'avait le contour d'un enfantillage. Juger de l'incapacité linguistique de Cervantès au travers de son adhésion religieuse, me paraît une singulière réduction du potentiel humain : toute personne peut à tout moment apprendre quelque langue que ce soit, pour toute sorte de motifs dont elle n'a point à se justifier. Tel apprend le mandarin pour son plaisir quand tel autre apprend le Hindi en vue d'un voyage qu'il ne fera peut-être jamais. Tel parle la langue de ses grands-parents apprise à la maison, tout en maîtrisant le dialecte de son enfance, et apprendra plus tard la langue de son épouse… Décréter l'indigence linguistique de Cervantès d'avoir jamais pu connaître l'hébreu et l'araméen sous prétexte qu'il serait un pieux catholique me semble une extravagance. Non seulement il connaissait ces langues, comme il le prouve par les innombrables hébraïsmes et références aux Textes, mais il maîtrisait également l'arabe, dont il donne une étonnante leçon au chapitre 57, dans le volume II. S'agissant de l'hébreu, Cervantès a pu s'en instruire tout simplement chez lui, à Alcala de Hénarès, à l'université de la ville où cette langue était enseignée, ainsi que l'arabe, et cela malgré l'Inquisition.
 
La scabreuse accusation du prof. Calero ne résiste pas à l'examen sérieux du Quichotte et de la personnalité même de Cervantès : le Quichotte est une œuvre tardive dans la vie de l'auteur. S'il était tricheur à cet endroit, il l'aurait été à d'autres et plus d'une fois, sur des œuvres précédentes. On aurait repérer une fraude. Serait-il soudain devenu un ladre en fin de carrière ? Les faussaires ne s'improvisent pas, ils ont le sens de la continuité, c'est un état d'esprit. Rien de tel ne perce dans la vie de l'écrivain, dont la probité s'établit solidement. Les preuves de l'authenticité cervantienne sont telles que, comme pour le faux Quichotte fomenté par Avellaneda, la vérité l'emporte sur le mensonge fabriqué.

Cervantès n'était pas membre de l'Académie des Imitateurs. 

Il a lui même pris les précautions pour échapper à toute tentative frauduleuse de plagiat : l'expérience du faux d'Avellaneda ayant porté, Cervantès termine son œuvre, chapitre 74 du vol II par cette disposition préventive : « Le très prudent Cid Hamet dit à sa plume : tu vas rester pendue à ce crochet et à ce fil de laiton, ô ma petite plume, bien ou mal taillée, je ne sais. Là, tu vivras de longs siècles, si de présomptueux et malandrins historiens ne te détachent pour te profaner… » Réponse anticipée de Cervantès à son futur calomniateur, dont il savait, de loin, que la prévarication d'Avellaneda ne manquerait pas de l'inspirer. Cervantès connaît la loi du Redoublement, aussi neutralise-t-il toute tentative future de corruption. La plume cervantienne continue de s'exprimer : «… avant qu'ils parviennent jusqu'à toi, tu peux les avertir, dans le meilleur langage que tu pourras trouver : Halte-là, halte-là, félons, que personne ne me touche ; car cette entreprise, bon roi, pour moi seule était réservée… Oui, pour moi seule naquit Don Quichotte, et moi pour lui. Il sut opérer et moi écrire. Il n'y a que nous qui ne fassions qu'un. » Superbe mise au point. Cervantès n'autorise aucun espace vide entre sa plume et son œuvre avec quoi il forme une unité insécable. La félonie d'Avellaneda ne saurait se reproduire, non plus que la pathétique déchéance que voudrait lui asséner un filou de notre temps. En cela aussi, Cervantès est prophète, il connaît le sens de l'histoire. Nul besoin pour lui de la très tardive et peu aboutie phénoménologie de l'esprit de la philosophie hégelienne, il accède à l'information première, décrypte le signe, devance l'événement, et avertit son Lecteur des siècles à venir.

Notre chercheur est un respectable diplômé. Cela met-il son esprit à l'abri d'une coquinerie cherchant à émoustiller la galerie ? Grande solitude des chercheurs qui désirent se parer d'un peu de brillance face aux collègues. Je n'ai pu m'empêcher d'entendre le sens de son nom en espagnol qui se livre directement : le diccionario encyclopédico de la lengua castellana précise qu'un calero est la personne affectée au four (caldera) où l'on produit la chaux (cal). Dans la maison où j'habitais en Espagne, nous avions une citerne souterraine qui se remplissait d'eau de pluie récupérée des toits. Après les orages, il fallait laisser décanter et jeter une poignée de chaux dans la réserve, pour désinfecter. Au village, on utilisait la chaux diluée pour blanchir les murs. Mais il fallait faire grande attention de bien dissoudre la chaux pour éviter les brûlures. Alors quand j'ai vu ce malheureux Calero prétendre tremper le Quichotte dans la chaux vive tirée de son mauvais four, j'ai décidé de dire « halte-là » ! Vous n'écorcherez par le Prince des génies en nous faisant croire qu'il serait un faussaire de grands chemins. Qui croit-il duper ?

Le codage hébraïque du Quichotte est une donnée vérifiée. Calero en déduit la nécessaire déchéance de Cervantès : quel exil est-ce là auquel l'universitaire voudrait condamner le grand auteur espagnol ? Pourquoi Cervantès aurait-il était incapable de concevoir cette extraordinaire composition à entrées linguistiques multiples, doublée d'une dimension prophétique ? L'identité juive de Cervantès — l'est-il ou non — a été largement débattue, le codage hébreu/araméen du Quichotte a fait l'objet des investigations les plus pointues.

« S'interroger sur l'identité juive, c'est déjà l'avoir perdue », écrit Emmanuel Lévinas, ajoutant : « Mais c'est encore s'y tenir, sans quoi on éviterait l'interrogatoire. » Je ne crois pas que l'accusateur fustigeant Cervantès de plagiat ait la moindre idée de ce qu'est l'appartenance au judaïsme, moins encore de sa mission. S'intronisant nouveau Torquemada, le chercheur ignore l'essence même des textes sur lesquels Cervantès s'appuie (Zohar, Séfer Yesirah) : son érudition n'est qu'une archéologie mal raisonnée qui n'enrichit aucunement le sens de l'épopée quichottienne. Une fossilisation du texte sur fond de querelle identitaire, alors que la modernité du Quichotte se situe dans l'exhaussement de son sens.

Mais à y regarder de près, la farce est belle… paradoxalement tout au service de la vérité dont elle croit se jouer. Et tel est pris qui croyait prendre, le piège se referme sur le subterfuge. La thèse hébraïque se trouve en effet renforcée par ceux-là même qui voulaient déposséder Cervantès de sa qualité d'auteur du prodige. Les imposteurs, émules d'Avellaneda, avec moins de talent que lui, s'en prennent à l'honnêteté intellectuelle de l'écrivain : l'auteur des Nouvelles Exemplaires, de Numance, du Retable des Merveilles ne serait donc qu'un copieur ? La veulerie de l'attaque est telle que nous ne croyons pas nécessaire de lui accorder plus d'attention qu'elle ne mérite, si ce n'est qu'elle correspond, à mon sens, à la réitération (karmique) du travail d'Avellaneda. En réponse à ce risible croc-en-jambe d'un obscur en mal de reconnaissance, se dresse la puissante réaffirmation de la sincérité cervantienne dont le Quichotte, à jamais prophète, éclaire notre temps.

Références :
L'exégèse de Don Quichotte, en 5 volumes.
Victoire pour Don Quichotte.
Don Quichotte prophète
El Secreto de Don Quijote (film de Raùl Rincon. En espagnol, option en anglais).

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